Le débat en cours actuellement au Bénin sur la possibilité ou non pour le Président Patrice Talon de briquer un troisième mandat prouve une fois de plus que la démocratie n’est pas seulement une question de textes. C’est aussi et surtout une affaire de convictions et d’état d’esprit. Sinon, un tel débat n’aurait plus jamais lieu au Bénin, pays longtemps considéré comme l’une des vitrines de la démocratie en Afrique francophone.
En effet, la Constitution du 11 décembre 1990 adoptée après la Conférence nationale souveraine et qui a mis fin au long règne du Président Mathieu Kérekou, disposait en son article 42 qu’ » En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels. »
Et pour renforcer cette prohibition, la loi n°2019 – 40 du 7 novembre 2019 portant révision de la Constitution de 1990 a ajouté, dans un article 42 nouveau, trois mots qui auraient pu paraître surabondants dans un pays où la règle de la limitation du nombre de mandats présidentiels est fortement ancrée. L’article 42 nouveau issu de la révision de 2019 indique que :
» En aucun cas, nul ne peut de sa vie, exercer plus de deux mandats de Président de la République.«
Cette nouvelle formulation de l’article 42 de la Constitution béninoise devrait suffire à mettre fin ou à empêcher tout débat sur la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels.
La Guinée s’inspire de ce texte béninois en prévoyant dans l’avant-projet de nouvelle constitution que » Nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de Président de la République. (article 44 alinéa 2 ). Mais notre pays semble vouloir aller plus loin que le Bénin en ajoutant que « Nul ne peut, de sa vie, faire acte de candidature aux fonctions de Président de la République, après avoir exercé deux mandats de Président de la République. « ( article 44 alinéa 3). Si ce texte était adopté en l’état, ce serait une avancée majeure en terme de renforcement de la limitation de mandats présidentiels.
Une personne ne pouvant, au sens propre, avoir qu’une seule vie, un président de la République qui a déjà exercé deux mandats ne peut plus prétendre à un troisième mandat, que ses deux mandats aient été consécutifs ou non, et même dans l’hypothèse de la « remise à zéro » du compteur, consécutive à un changement de constitution ou d’une révision constitutionnelle.
Mais c’est mal connaître les propagandistes. Ils seront capables de dire un jour, dans le seul but d’obtenir la prolongation du règne de leur « champion » en fin de mandat et frappé par l’interdiction d’exercer ou de prétendre exercer un troisième mandat, que la limitation du nombre de mandats de président de la République est contraire à la démocratie.
Ils diront qu’il faut laisser au « peuple » le droit de s’exprimer et de choisir librement qui il veut, quitte à lui accorder un nombre illimité de mandats, l’essentiel étant qu’il « travaille ».
C’est donc au président de la République en fonction de mettre fin à ce genre de débats dès qu’ils commencent. Mais cela n’est possible que s’il est lui-même convaincu du bien-fondé de la règle de la limitation du nombre de mandats présidentiels et veut s’y conformer. De même, il ne peut arrêter ce débat que s’il n’en est pas l’instigateur pour en tirer profit à un moment donné. L’expérience de ces dernières années en Afrique prouve clairement que très souvent, ce sont les milieux proches du pouvoir ou le président lui-même qui créent, à travers divers canaux, le débat sur la possibilité de briguer un troisième mandat alors même que la constitution l’interdit. Et ce sont eux qui créent et financent les mouvements de soutien dans ce sens. Ces derniers bénéficient dans bien des cas de l’assentiment exprès ou tacite du Président de la République.
Seul l’ancien Président du Niger, Mahamadou Issoufou. avait tué dans l’œuf tout appel et toute mobilisation destinés à l’encourager à se porter candidat pour un troisième mandat.
Me Mohamed Traoré
Ancien Bâtonnier