Annoncé autour d’une table de la primature on aurait cru être à la conférence de Berlin où une minorité décida de partager tout un continent en tranches de gâteau pour en déguster après, un accord soi-disant entre le groupe sud-africain MTN et l’Etat guinéen est dévoilé aux citoyens via quelques paragraphes sur les canaux sociaux de communication de la primature et du ministère en charge des télécommunications. Dans un monde plus en plus ouvert aux échanges et soucieux du devoir de redevabilité et de compte rendu des gouvernants vis-à-vis des contribuables, le Ministère des télécoms et ses acolytes s’illustrent dans l’art des accords en catimini et dans une opacité sans paire comme si les ressources engagées étaient une propriété privée.
Nous dit-on que MTN a été racheté à un franc symbolique par l’Etat, et de l’autre côté, la Primature et le Ministère de tutelle nous parlent de la gestion des passifs de la société par l’Etat ? Qui parle de passifs parle de dettes…Alors pourquoi voulez-vous engager l’argent public dans une opacité totale ? Pour sauver les emplois disait l’autre !
Dans une opération d’acquisition, de transmission ou toutes autres formes de transfert de plus de la moitié des titres sociaux ou de restructuration en entreprise, on ne sauve pas les emplois par des mots mais par un « Plan social ». Ce plan social est inclus dans les conventions et accords entre les parties et statue sur la démarche de protection des emplois et des employés.
Un second aspect qui attire mon attention est celui du fait que sans due diligence (évaluation technique, financière et juridique) de MTN Guinée, l’on s’est permis d’engager la responsabilité de l’Etat et de ses finances et cerise sur le gâteau avec l’accompagnement de la Primature dont le Chef est aussi patron du pool financier de l’Etat.
Comment des autorités a un tel niveau de responsabilité peuvent faire preuve d’un si grand amateurisme ?
En plus de cette erreur stratégique, la loi L056/2017 portant sur la gouvernance des sociétés publiques en République de Guinée est claire dans son article 9 : « La création d’une société publique ou d’une société dans laquelle l’Etat détient au moins 50% du capital est faite par un décret pris, à peine de nullité sur proposition conjointe du Ministre chargé des Finances et du Ministre de tutelle. Ce décret détermine la composition du Conseil d’administration de la société. La décision de dissolution de la société est également prononcée par décret, pris suivant la même procédure.
Les décrets qui créent la société publique et la société mixte précisent l’objet social, ainsi que les missions et compétences, notamment pour celles d’entre elles gérant un service public.
Les textes de création déterminent également le régime financier et les textes spécifiques non contraires au droit des sociétés commerciales et renvoient leur mode de fonctionnement aux statuts.
Et plus loin, elle stipule que les charges liées à cette création, notamment le capital détenu par l’Etat doivent être inscrites en loi de finances. Mais aussi que les prises de participation inférieures à 50% font l’objet d’une information des Commissions parlementaires compétentes parlementaires compétentes. »
Il y a apparemment vice de procédure !!!!!!
Présentation du contexte :
Il est important de savoir que la configuration du pacte des actionnaires de la société MTN Guinée.SA avant la déclaration des pouvoirs publics faisant état de l’acquisition des actions majoritaires était la suivante : Groupe MTN = 75% ; Etat guinéen= 12,5% ; GPC=12,5.
Tout au long des années de troubles économiques de la société où elle s’est vue perdre le marché au profit de l’opérateur dominant actuel qui dépasse les 90% de parts de marché, MTN Guinée s’est endettée jusqu’au plafond à la fois avec les impôts, l’Autorité de Régulation, le trésor public (Arriérés de paiement de licences) et aussi vis-à-vis d’autres créanciers.
Le plus spectaculaire est que la Group MTN qui était l’actionnaire majoritaire, était aussi l’une des créations de ladite société. D’ailleurs ses créances avoisinent plus de la moitié des créances totales de la pauvre société. Dans l’acte uniforme sur les sociétés commerciales de l’OHADA, statue que dans le cas des Sociétés anonymes (SA), la responsabilité des passifs est à la hauteur de la détention des titres sociaux. En clair, lorsqu’on est actionnaire à hauteur de 75%, on est responsable des passifs à hauteur de 75% car les contrats de créances sont autorisés en Conseil d’administration. Donc si l’Etat accepte le cadeau empoisonné dit du franc symbolique du Groupe MTN, qui rend l’Etat actionnaire à 87,5%, l’Etat accepte d’endosser l’ensemble des dettes de la société et mêmes celles qui ont été cédées par le groupe MTN à sa filiale guinéenne. Alors tout ça pour quelle profitabilité ?
Problématique :
Tout investissement public ou privé dans une société commerciale doit répondre à la question de la profitabilité. Est-ce que les risques évalués méritent d’être pris pour le profit estimé ? Dans le jargon économique, l’on dit que le risque doit-être asymétrique aux coûts d’opportunité estimés.
Dans le cas présent, on est face à une situation où l’Etat s’est engagé à prendre une société commerciale sans une évaluation préalable des risques. C’est d’ailleurs après la signature de l’accord qu’on nous apprend qu’il y a une due diligence qui sera faite très prochainement alors que cela devrait être le support de décision des approches de l’Etat quant à la société MTN Guinée.SA.
Pistes de solution et rectification de la démarche :
En mon sens, le Ministère des Postes et Télécommunications doit impérativement rectifier sa démarche en engageant une évaluation du patrimoine de la société MTN Guinée pour comparer ses actifs à ses passifs. Car si les passifs de la société arrivent à être supérieurs à la valeur vénale de ladite société, chose qui est fort probable, l’Etat à un moyen de désengagement face aux dettes et peut entamer une action de récupération sans être responsable des dettes colossales que le groupe a acquis sur la tête de la société. Il faut éviter d’alourdir la dette de l’Etat quand on le peut !!!
Dans ce cas, l’Etat doit alors s’en presser de faire une joint-venture (Coentreprise) avec des investisseurs privés sur les patrimoines non-exploités et en difficultés de l’Etat (Guinée Télécom, MTN Guinée…). Et cela, en s’assurant des compétences techniques et financières de l’investisseur.
KABA MAMADI
Spécialiste des Télécommunications & du développement Numérique
Auteur des plusieurs ouvrages sur l’Economie numérique et les Télécoms
« Les Freins du développement Numérique en Guinée et ma Vision » ET
Email : [email protected] ;