Un an après ma première sur le sujet, je me penche de nouveau sur le potentiel socio-économique que le Simandou pourrait apporter à notre pays, la République de Guinée si :
• la gestion et le suivi des clauses des conventions sont efficacement faites,
• les ressources générées sont effectivement collectées et sécurisées,
• les produits de l’exploitation de la mine de fer sont investis dans des projets structurants,
• la gestion du volet contenu local est maîtrisée de manière intégrée.
Nous savons que le minerai de fer est la principale matière première utilisée pour produire l’acier, minéral critique et stratégique (AIE, 2023). Une matière première incontournable dans la fabrication de nombreux biens, tels que les voitures, les maisons et bâtiments, les équipements militaires, etc.
Selon la World Steel Association, « la population mondiale est de plus en plus urbaine. En 2010, environ la moitié d’entre elles vivaient en ville. D’ici 2050, ce sera autour de 70%. Pour faire face à cette migration, les villes se développent rapidement pour devenir des mégalopoles. La construction de ces mégalopoles nécessitera beaucoup de matériaux, notamment l’acier. Le logement et la construction consomment déjà 50% de tout l’acier produit. À mesure que la densité de la population urbaine augmente, le besoin d’acier pour construire des immeubles et des infrastructures de transports publics augmente ».
Notre pays, la République de Guinée, a la chance d’abriter le mont Simandou, la plus grande réserve de minerai de fer de haute teneur (65%) au monde, jamais exploité (estimé à plus de 8 milliards de tonnes), découverte il y a plus d’un demi-siècle. Suite à la volonté affichée du Chef de l’Etat, le Général de corp d’Armée Mamadi DOUMBOUYA, de libérer le potentiel du Simandou pour favoriser la relance et la prospérité économique de la Guinée, la signature d’un accord-cadre avec l’Etat a été effective le 22 décembre 2022. L’annonce a été faite par le Ministre Directeur de Cabinet de la Présidence, Djiba Diakité, président du Comité stratégique du projet Simandou. Depuis, les magnans de l’industrie de l’acier se frottent les mains, une grande convoitise s’est formée autour du méga projet, dont les investissements attendus sont estimés à près de 20 milliards USD.
Pour rappel, le Simandou est un projet complexe et particulièrement transformateur. Il est divisé en deux mines de deux Blocs chacune : la première mine comprend les blocs 1 et 2, est développée par le producteur d’acier chinois Baowu associé au consortium sino-singapourien Winning. La seconde mine comprend les blocs 3 et 4, développée par le géant anglo-australien Rio Tinto Simfer, associé au poids lourd chinois de l’aluminium Chinalco. Le démarrage de l’exploitation est prévu pour fin 2024.
Son exploitation nécessite la construction d’un chemin de fer long d’un peu plus de 600km, reliant les mines du sud-est du pays à la nouvelle zone portuaire du nord-ouest, créée au sud de Conakry, à Moribaya, préfecture de Forécariah. Une société de logistique commune aux deux groupes d’exploitants, avec une participation minoritaire (15%) de l’Etat guinéen, dénommée la Compagnie du Transguinéen (CTG) a été créée, le 27 juillet 2022, à cet effet. Ce chemin de fer se veut transformateur pour la Guinée, car il traverse les quatre régions naturelles du pays et pourra être utilisé aussi pour le transport de personnes que de marchandises.
Le swot en deux points
Dans ce corridor d’infrastructures (chemin de fer, ponts, tunnels, routes, port, …) hautement transformateur pour la Guinée devraient s’associer :
– d’un côté et de façon positive, des milliers d’emplois qualifiés et non qualifiés crées et des centaines de sociétés guinéennes sous-traitantes, créant ainsi des opportunités soutenues de développement socioéconomique et des entrés conséquentes de ressources internes pour la Guinée.
– de l’autre côté et de façon négative, la destruction de milliers d’arbres et de l’environnement, la destruction de milliers de plantations et de domaines agricoles, le déplacement des personnes et des biens, la menace d’accès des terres arables et à l’eau potable pour certaines populations, la destruction de l’habitat et l’extinction d’espèces animales protégées, le risque d’effacement de l’histoire et des cultures liées terres touchées par le projet.
Que faire après le politique et le décisionnel ?
Les accords-cadres sur le Simandou ont été ratifiés par le CNT, le 3 février 2024, et promulgués par le Président de la République, le 5 mars 2024. Simandou peut ainsi officiellement démarrer !!!
Le CNT, la société civile et des observateurs internationaux ont félicité le gouvernement guinéen pour ce « pas géant ». Toutefois, toutes ces voix recommandent au gouvernement de veiller au respect strict et scrupuleux des clauses des accords, d’exiger la sous-traitance effective des guinéens, de veiller à l’indemnisation correcte et à temps des villages impactés, de veiller à l’identification des actions dans le cadre de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et à leur application correcte et de veiller à ce que les plans d’atténuation des impacts environnementaux soient correctement exécutés.
Pourquoi adopter de nouvelles méthodes de gouvernance ?
Être prêt à répondre à la demande mondiale croissante d’acier (métal critique), c’est aussi savoir en faire profiter la population et les générations futures, tout en s’assurant que l’activité économique ne soit orientée que vers l’exploitation minière au détriment des autres activités porteuses de croissance comme cela se constate aujourd’hui dans d’autres zones minières à travers le pays comme à Boké et à Siguiri.
L’Etat devrait donc s’assurer que les externalités négatives du projet soient atténuées et maitrisées, et que les attentes positives de l’exploitation du minerai de fer soient effectivement observées. Pour y parvenir, le Gouvernement devrait s’inspirer des leçons tirées de l’exploitation de la bauxite.
Extraite et exportée depuis plus d’un siècle, avec un seuil de plus de 100 millions de tonnes par an depuis 2022 (Emergence GN), les retombées de l’exploitation de la bauxite restent peu visibles. L’État en tire moins de USD 600 millions comme revenus annuel, soit moins de 1/5 du budget de l’Etat (TOFE, 2023). Par ailleurs, l’exode rural est très accentué dans ces zones, les guinéens bénéficient à peine d’emplois qualifiés dans le secteur, les couverts végétaux sont dégradés. En conséquence la Guinée n’a pas encore eu d’améliorations significatives de sa condition socio-économique.
Dans les économies en développement, principalement subsaharienne, on constate une forte disparité entre le développement de l’exploitation des richesses naturelles et le développement socio-économique. C’est le cas de la Guinée, du Burkina Fasso, du Nigéria, de la RDC, …. Ce qui entraine des conflits communautaires récurrents dus à l’incompréhension par les populations qui peinent à ressentir les effets positifs de l’exploitation minière sur leur quotidien. Certains chercheurs soutiennent la thèse de la malédiction des ressources naturelles.
Revenant à Simandou, il est important de souligner que la taille (plus de USD 20 milliards) et la transversalité (infrastructure, agriculture, élevage, pêche, environnement, santé, éducation, sécurité, transport) soutenue de ce méga projet font qu’une attention particulière doit être portée à son exécution. L’Etat devrait avoir un regard de projet intégré à la place de projet minier.
Le Botswana est un modèle en Afrique sub-saharienne en la matière. Ce pays a su se démarquer pour faire du succès dans l’exploitation du diamant à travers son administration minière prudente. Les performances sociales et économiques de ce pays sont le résultat d’une bonne gouvernance, doublée d’institutions fortes et transparentes ainsi que de la mise en place de politiques de développement adéquates et adaptées. Le pays a capitalisé sur son activité minière et en a fait un outil de développement (Policy paper, octobre 2022). Un peu plus loin, le Madagascar a créé, en février dernier, le Guichet unique de l’exploitation de l’or afin d’encadrer l’exploitation de ce minerai et en tirer le maximum de profits. Toutes ces informations nous mettent devant la nécessité et l’urgence d’une meilleure gouvernance du Simandou.
Mise en place d’une Unité de Gestion sous forme de Guichet Unique
En effet, la mise en place d’un dispositif institutionnel tel qu’un Guichet Unique sur la gestion technique du Simandou (GUS) revêt un enjeu capital dans la mobilisation et la répartition des produits de cette mine.
Les différents rebondissements autours de cette mine stratégique depuis le Mifergui – Nimba dans les années 70 entre l’Etat Guinéen et les investisseurs pour souvent des raisons d’intérêts divergents et de corruption, ont retardé le démarrage du projet de plus de 40 années, témoignant ainsi de l’importance de ce méga projet.
A terme, la mine pourrait produire entre 60 et 100 millions tonnes de fer par an pour une recette annuelle de près de USD 2,5 milliards pour l’Etat, à partir de 2027 soit l’équivalent de 3/4 (75%) du budget actuel de l’Etat, ce qui est considérable sachant que le secteur minier y contribue actuellement à moins de 20%.
Simandou n’est pas qu’un projet minier, c’est un projet de développement majeur qui devrait transmuer toute notre économie. Transversal, le projet touche à divers secteurs de notre économie : l’éducation, la santé, l’habitat, l’eau, l’agriculture, l’agroforesterie, l’environnement, l’énergie, les infrastructures, le transport, la communication, …. Et comme pour tout projet de développement important, les défis devront être gérés avec soin, notamment en minimisant les impacts négatifs sur la société tout en favorisant simultanément une croissance inclusive et durable et une amélioration substantielle des conditions de vie des guinéens.
A l’image du Madagascar, s’il est créé, le GUS pourrait être placé sous la supervision du Comité Stratégique et orienté sur la gestion et le suivi du projet. Il sera le bureau qui permettrait à la Guinée de s’assurer que chaque activité du projet produise le résultat escompté : à la fois sur les populations, l’environnement et l’économie nationale. Le Guichet unique du Simandou se chargera de la définition de la politique économique et sociale qui accompagnera l’exploitation du minerai de fer. Il élaborera des programmes d’investissement et s’assurera de leur opérationnalisation en vue de diversifier l’activité économique, il assurera également la gouvernance du Simandou.
A travers les stratégies qu’il élaborera, un fond souverain, à l’image du Gabon et /ou un fond inter générationnel à l’image de la province du Québec au Canada et de la Norvège pourra être institué afin d’orienter efficacement les produits du Simandou vers la souveraineté économique pour les générations futures.
Ainsi, à travers cette unité de coordination technique, la vision stratégique du Chef de l’Etat de Libérer le potentiel du Simandou pour favoriser la relance et la prospérité économique de la Guinée pourra effectivement être mise en place et la mémoire du projet pourra être garantie.
Mme Gnalen OULARE, Economiste2