Je viens de suivre avec attention un débat houleux entre deux jeunes sur un sujet très intéressant que des guinéens abordent souvent avec passion : les racines profondes de l’ethnocentrisme dans notre pays.
Le débat était tellement intéressant et envoûtant que je me suis dit de faire une petite réaction concernant cette délicate question.
En effet, contrairement à ce que nombre de guinéens pensent, l’ethnocentrisme en Guinée ne prend pas ses racines dans l’après indépendance. Il existait bien avant l’indépendance de notre patrimoine commun. C’est le fruit du système colonial.
Certes, il a été exacerbé du fait de la politisation à outrance de vie, de notre histoire commune. Chose qui ne cesse d’ébranler le tissu social et compromettre dangereusement notre vivre-ensemble. Mais, il existait bien avant 1958. Il trouve ses profondes racines dans l’époque coloniale.
Clairement, pour réduire les peuples africains à l’esclavage, le colon a savamment réfléchi et mis en place une stratégie en opposition au bon vivre ensemble, un piège subtil : diviser les populations pour mieux régner.
Au sein des groupes ethniques où le système de castes était de rigueur, le colon a profité de cette stratification sociale pour les opposer : utiliser les gens de caste contre ceux qui se disaient nobles.
Là où il y avait plusieurs groupes ethnolinguistiques, il les a braqués les uns contre les autres pour asseoir intelligemment son hégémonie sur une bonne partie du berceau de l’humanité.
L’ethnocentrisme en Afrique notamment en Guinée ne date pas d’aujourd’hui.
La multiplicité et la diversité des ethnies, et le réveil des sentiments suscités par les anciennes guerres des royaumes, ont été mis au service de la pérennisation du colonialisme en Afrique. Le colonisateur a aggravé les différences en montant les ethnies les unes contre les autres.
Savez-vous qu’en Guinée les premiers violents affrontements interethniques eurent lieu alors que notre pays était encore sous le contrôle de la puissance coloniale, en 1956 pour être précis ?
Les premières monographies coloniales ont consisté à dénigrer les membres des ethnies ayant résisté à la pénétration coloniale. Elles ont abouti à la scolarisation des gens de caste, pour les révolter contre les groupes dits ‘’nobles ‘’. En fait, la connaissance des monographies a permis la manipulation dangereuse des structures sociales, afin d’empêcher l’unité de la nation, force de toute lutte de libération.
Certes, les manœuvres politiques ont accentué les considérations ethnorégionales dans notre pays. Mais, en réalité, bien avant l’indépendance, les identités ethniques étaient déjà instrumentalisées par le colonisateur.
À vrai dire, le système colonial a rigidifié des appartenances ethniques qui, avant son arrivée étaient fluides : des ethnies vivaient paisiblement côte à côte. Malheureusement, cette cohérence a été mise à mal par la colonisation.
Partout où il y avait une mosaïque de populations, la colonisation s’est servie les unes contre les autres pour au final les assujettir toutes. La Guinée, notre patrimoine commun, n’a pas échappé à ce piège de la colonisation.
En un mot tout comme en mille, toujours est-il que si la colonisation n’est pas à l’origine de l’ethnocentrisme en Guinée, elle a été un puissant catalyseur du phénomène, qui l’a exponentiellement exacerbé.
Sayon MARA, Juriste