C’est un gosse de la misère, devenu métallo, puis leader syndicaliste. Lula s’est présenté trois fois aux présidentielles, il a été élu président du Brésil de 2003 à 2011. Il sort 30 millions de personnes de la misère.
Les sérieuses réformes touchent toutes les couches de la société Brésilienne, notamment un salaire universel pour les plus pauvres. Farouchement opposé à toute forme de dictature, Lula ne remet pas en cause l’économie de marché, par contre il permet même aux entreprises brésiliennes de connaitre un bond en avant. Sur le plan démocratique, Il ne touche pas à la liberté d’expression et à la liberté d’entreprendre. Il quitte la présidence, en 2011, avec un taux de satisfaction de 87%. Ce qui était inédit dans l’histoire de la vie publique du pays. Sa proximité physique avec les gens de condition modeste touche au religieux.
Le revers de la médaille de son mandat fut son impuissance face au fléau de la corruption. Sous sa présidence, la corruption, fléau de la politique brésilienne, ne cessera jamais. Y compris dans son propre parti. Les marchés publics sont toujours attribués avec des dessous de table. Ce drame suscita beaucoup d’interrogations sur un éventuel enrichissement personnel de la part de Lula?
Dès 2007, alors qu’il est président, se forme un groupe de travail de juristes américains du Department of Justice consacré au Brésil. Ce réseau est créé officiellement dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Dans un message à Washington, révélé par Le Monde, l’ambassadeur américain à Brasilia, Clifford Sobel explique vouloir créer un réseau d’experts locaux en mesure de défendre les intérêts américains « sans avoir l’air d’être des pions ». Ils ont identifié un groupe de magistrats brésiliens disposés à partager l’information de manière «informelle ». Une campagne efficace contre la corruption, disent-ils, doit s’incarner dans une offensive contre le « roi ». Il s’agit d’utiliser la puissance des médias. Parmi ces magistrats brésiliens, un certain Sergio Moro. Lula est remplacé à la présidence par Dilma Rousseff. C’est alors que le juge Sergio Moro va déclencher une enquête anti-corruption massivement médiatisée : Lava-Jato. Entre 2014 et 2019, de nombreuses investigations impliquent une grande partie de la classe politique brésilienne. À l’origine de l’enquête, un système de pots-de-vin qui liait l’entreprise publique Petrobras et des groupes de BTP, des politiques, et des lobbyistes.
Lula est accusé d’avoir accepté un appartement en échange de contrats publics. L’accusation repose sur une dénonciation individuelle. Dans un interrogatoire filmé, Lula exige de Moro le moindre document prouvant qu’il est propriétaire du triplex. Celui-ci ne répond pas. Une puissante opération de manipulation de la perception créée le sentiment dans le public que les preuves sont abondantes. Le déferlement médiatique est hallucinant : TV Globo, les grands magazines, tous accablent Lula. Même en Europe, la presse sérieuse s’aligne.
Au Brésil, dans les grandes villes du sud-est, Rio, São Paulo, des manifestations massives, plutôt des classes moyennes supérieures blanches, déploient une haine phénoménale à son égard. En 2017, Lula est condamné pour corruption passive à près de 10 années de prison. Il finira ses jours en prison, clamaient ses farouches adversaires devant toutes les caméras du monde. Pourtant ces charges sont prononcées « pour des faits indéterminés ». C’est énoncé explicitement dans le document de 238 pages détaillant la décision de M. Moro. Dans les annexes de la condamnation, le magistrat précise qu’il n’a « jamais affirmé que les montants obtenus par l’entreprise OAS grâce aux contrats avec Petrobras ont été utilisés pour payer des avantages indus pour l’ancien président ». De nouvelles élections présidentielles sont organisées en 2018. Surgit Jair Bolsonaro, une sorte de Trump brésilien. Bolsonaro est aidé par Steve Bannon, le machiavel qui a propulsé Trump au pouvoir. La méthode est la même. Des vagues le de fake news sur les réseaux sociaux.
Bolsonaro gagne. Pour la première fois depuis très longtemps, l’extrême droite retourne au pouvoir au Brésil. Sergio Moro, le juge qui a mené l’enquête contre Lula et l’a fait condamner, est nommé ministre de la justice par Bolsonaro. En 2019, Rouge (Vermelho, en portugais) rentre en jeu, presque par accident. Rouge c’est le surnom d’un jeune hacker : Walter Delgatti. Il doit son surnom non pas à ses opinions politiques mais à la couleur de ses cheveux. Ce jeune rouquin, va changer le cours de l’histoire. Rouge a pénétré les téléphones d’un magistrat qui l’incriminait dans une autre affaire, injustement d’après lui. Son affaire n’a rien à voir avec celle de Lula. Sauf que le juge hacké est en contact avec les magistrats ayant envoyé Lula en prison. En pénétrant leur groupe Telegram, le hacker découvre des échanges, dans lesquels les magistrats reconnaissent que les preuves sont inexistantes et que, contre toutes les règles du droit, le juge collaborait secrètement avec le procureur. La partie était truquée. Scandalisé, Rouge confie ses documents à un site d’investigation, The Intercept. Le monde découvre qu’il n’existait pas de preuves contre Lula et que celui-ci a été victime d’un coup d’état d’un genre nouveau : le Lawfare. Ou comment subvertir la loi et en faire une arme. On apprend aussi que des conseillers américains du Département Of Justice et du FBI ont accompagné toute l’opération. Le réseau judiciaire américano-brésilien a nourri toute l’opération Lava-Jato.Le tribunal suprême ordonne la libération de Lula. Il sort blanchi de prison.
Le 30 octobre 2022, Lula est élu de nouveau président du Brésil.
Sékou Sacko
Analyste politique