L’idéologue qui est parvenu à inculquer à certains guinéens que l’exercice de la liberte de manifester équivaut à une exposition à la mort a réussi une prouesse. La Guinée est l’un des rares pays où des politiques, des journalistes des « intellectuels » s’échinent quotidiennement à démontrer que manifester entraîne forcément des morts. Il existe même un vocabulaire utilisé pour exprimer cette idée. On entend dire que les acteurs politiques ou les acteurs de la société civile qui organisent des manifestations « envoient les gens à la mort » ou » à la boucherie « . Ce discours est devenu tellement ancré dans la tête des dirigeants qu’il existe chez eux une volonté systématique de criminaliser le droit de manifester et d’exonérer les forces de l’ordre. Un ministre de l’Administration du Territoire s’était arrogé le pouvoir d’interdire, par voie de message-radio toute manifestation sur l’ensemble du territoire national. Ce qui demontre combien l’État est frileux vis-à-vis de cette liberté. Il faut reconnaître que c’est l’une des libertés dont l’exercice gêne tout pouvoir. Le plus incohérent dans cette décision, c’est le fait que la constitution qui était en vigueur à l’époque prévoyait de façon claire cette liberté.
Par ailleurs, mettre dos à dos les manifestants et les forces de maintien d’ordre dans les violences meurtrières lors des manifestations est l’une des pires manipulations réussies en Guinée ces dernières années.
Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, il est important de rappeler qu’un ministre de la Sécurité avait même déclaré devant des dizaines de journalistes qu’une balle aurait été introduite à l’aide d’une pince dans le corps d’une victime pour accuser les forces de l’ordre !
La liberté de manifester, comme toute liberté, n’est pas absolue. Elle s’exerce dans le cadre des lois qui l’encadrent. Le devoir de l’État est de veiller à ce que ces lois soient respectées. Il n’existe pas de liberté sans responsabilité. Qu’est-ce qui peut empêcher l’État de mettre les organisateurs de manifestations devant leur responsabilité comme cela est prévu par la loi en cas de débordements?
Par ailleurs, l’État dispose du pouvoir d’interdire une manifestation pour des motifs prévus par la loi. Ce qu’il faut éviter, dans l’exercice de ce pouvoir, c’est la tendance à tout interdire en invoquant à tout bout de champ l’argument du « risque de trouble à l’ordre public » qui n’est souvent qu’un simple prétexte pour étouffer l’expression citoyenne.
Par ailleurs, il est utile de rappeler que la loi ne prévoit que des interdictions de manifestations au cas par cas. Mais une interdiction d’ordre général constitue incontestablement un regrettable recul sur le plan de la promotion et la protection des libertés et droit des citoyens.
Mais en instruisant les parquets d’instance dont celui du Tribunal de Première lnstance de Dixinn d’engager des poursuites judiciaires contre des dirigeants de l’ancien régime pour différents faits pénaux commis lors des manifestations, le Procureur général près la Cour d’appel de Conakry s’emploie à prouver que la confusion ne peut pas être entretenue indéfiniment sur cette question.
Le bon grain doit être séparé de l’ivraie.
Mohamed Traoré