Rarement une loi guinéenne aura suscité autant de débats et de controverses que la loi organique L02 du 22 juin 2010 portant sur la liberté de la presse.
Cette loi apparaît aux yeux de nombreux citoyens comme accordant une impunité aux journalistes. Une loi faisant de ces derniers des citoyens à part. Certains membres de la presse en viennent à penser eux-mêmes que la loi sur la liberté de la presse est un blanc-seing qui leur accordé par la loi 02/2010 dans le cadre et même en dehors de l’exercice de leur profession.
Nul besoin de dire que tel n’est pas le but de cette loi sinon au membre du CNT ne l’aurait votée.
À travers un certain nombre de questions et de réponses, on peut essayer de lever l’équivoque dans la compréhension et l’application de cette loi.
1- Qu’appelle-t-on délits de presse ?
Ce sont les infractions commises par l’un des moyens cités à l’article 98 de la loi.
Ces moyens sont:
– Les discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics;
– Les écrits, imprimés, dessins, gravures, graffitis, peintures, caricatures, emblèmes, images ou tout
autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image, vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics
– Tout autre moyen de communication audiovisuelle, en ligne…..
Toute infraction commise par l’un de ces moyens, quelle que soit la qualité de l’auteur- journaliste ou pas- est un délit de presse. Il serait même plus clair de parler d’infractions commises par voie de presse pour faire ressortir le moyen utilisé pour la réalisation desdites infractions. C’est donc ce moyen qui permet de qualifier une infraction de » délit de presse » et non la qualité de l’auteur de l’infraction.
2- La loi L02/2010 a-t-elle depénalisé les » délits de presse « ?
La réponse est non. Ce texte a tout simplement supprimé d’une façon générale les peines privatives de liberté ( l’emprisonnement). Mais il a maintenu les peines d’amende. L’amende est une sanction pénale comme l’empoisonnement.
Les faits prévus par la loi L02 gardent donc leur caractère pénal.
Et il existe même des hypothèses,quoique rares, où cette loi prévoit des peines privatives de liberté.
C’est dire encore une fois qu’il est exagéré et juridiquement infondé de parler de depénalisation des « délits de presse ». On pourrait juste employer par commodité l’expression » depénalisation partielle » pour mettre en relief la suppression des peines privatives de liberté dans certains cas et le maintien des peines d’amende.
Ainsi, un journaliste peut bien aller en prison s’il commet, même par voie de presse, une infraction pour laquelle la loi sur la liberté de la presse prévoit une peine privative de liberté.
3 – Un journaliste peut-il être poursuivi sur la base du Code pénal ?
La réponse est affirmative, si le journaliste commet une infraction par un moyen autre que ceux indiqués par la loi sur la liberté de la presse à l’article 98.
4 – Une infraction commise à travers une page Facebook relève-t-elle de la loi sur la liberté de la presse ?
La presse, c’est aussi la presse en ligne. D’ailleurs, de nos jours, la presse en ligne occupe une place de choix dans le paysage médiatique.
» Est appelé presse en ligne ( site web, blog, site de réseaux sociaux, etc.) tout service de communication en ligne édité à titre professionnel par une personne ou morale qui à la maîtrise éditoriale de son contenu » ( article 42 de la loi 02/2010).
Celui qui commet une infraction via son compte Facebook est-il protégé par la loi L02/2010 ?
Personnellement, j’en doute. Mais le débat est ouvert.
Me Mohamed Traoré