Ce samedi 4 octobre 2025, la Maison des journalistes de Conakry a accueilli la présentation officielle du nouvel ouvrage de Paul Théa, écrivain, documentariste et passionné d’histoire. Son livre, intitulé « La Traite Négrière au Rio Pongo », jette une lumière crue sur un pan méconnu de l’histoire guinéenne et africaine : celui du rôle joué par les côtes de la Guinée maritime dans le commerce transatlantique des esclaves.
Face aux journalistes et intellectuels, l’auteur a expliqué les motivations qui l’ont conduit à entreprendre ce travail de recherche de longue haleine : « C’est l’histoire de la traite négrière, mais pas seulement au Rio-Pongo, parce que je parle du Rio-Nunez, de Morya, de Soumbouya et de Bana », a-t-il confié.
Dans cet ouvrage, Paul Théa s’attache à retracer la chronologie et les acteurs d’un commerce humain qui a profondément marqué la région du Rio Pongo, dans l’actuelle préfecture de Boké. L’auteur y révèle que cette zone, autrefois florissante par son activité économique, fut l’un des points névralgiques de la traite négrière en Afrique de l’Ouest : « Les guerres entre les négriers, les installations, le pouvoir, c’est ce que je suis venu présenter ici », a-t-il précisé. Il rappelle que la Guinée, souvent absente des récits officiels sur la traite, a pourtant été un carrefour majeur du trafic d’esclaves : « Quand on parle de traite négrière, on entend souvent Gorée ou d’autres pays, Gorée au Sénégal ou au Bénin. Alors que nous, nous avons ici les îles de l’Oss : il y a eu plus d’esclaves transportés à partir des îles de l’Oss que de Gorée », a-t-il révélé avec émotion.
Au-delà du devoir de mémoire, Paul Théa inscrit son travail dans une dynamique de reconnexion identitaire. Il souhaite que son livre serve de pont entre les Africains et la diaspora noire, notamment américaine : « C’est une façon de valoriser nos sites négriers, de les faire connaître, pour que les Américains, les Noirs Américains, les gens viennent de partout pour découvrir leurs origines », explique-t-il.
Dans un monde où la quête identitaire prend une importance croissante, l’auteur estime que la Guinée a un rôle à jouer : « C’est vraiment la mode en ce moment aux États-Unis : les gens cherchent à faire des tests ADN pour découvrir leurs origines. Et il faut leur montrer qu’il y a eu beaucoup d’esclaves qu’on a pris ici pour l’Amérique et pour les Caraïbes », a-t-il ajouté.
Paul Théa ne se contente pas de relater les faits historiques. Il interroge aussi les responsabilités, parfois partagées, dans cette tragédie : « Des Blancs sont venus kidnapper les Noirs. Il y a les chefs, il y a toute une organisation des empires qui vendait des esclaves. Donc, on a aussi une complicité africaine dans cette période douloureuse », a-t-il reconnu, appelant à un regard lucide sur cette part d’histoire.
Pour lui, affronter cette vérité est essentiel à la construction d’une mémoire nationale assumée : « C’est notre histoire que nous avons besoin de connaître, non seulement ici mais ailleurs, parce que, surtout en Guinée, nous connaissons très peu notre histoire », déplore-t-il.
L’auteur considère « La Traite Négrière au Rio Pongo » comme un outil pédagogique et culturel, destiné à combler le vide historique et mémoriel dont souffre la jeunesse guinéenne : « C’est une façon de connaître, bonne ou mauvaise, qu’on arrive à savoir nos origines. Parce qu’ici, on a des amis qui s’appellent Lightburn, Curtis, Williams, Gomez, on ne sait pas d’où vient cette origine. Donc c’est un peu ce mixage-là, c’est une façon aussi de ce livre-là de le montrer. C’est pour ça qu’il faut que les enfants puissent aller à l’école », a insisté Paul Théa. À travers ce livre, il espère encourager les institutions à mieux documenter et enseigner cette période historique, tout en valorisant les sites de mémoire du littoral guinéen.
Gnima Aïssata Kébé