Alors que les enjeux de transition écologique et de justice sociale mobilisent les pays du Sud comme du Nord, la technologie apparaît à la fois comme une promesse et un défi. En Guinée, la question n’est plus de savoir si l’innovation doit accompagner le développement, mais comment. À l’occasion d’un entretien accordé à notre rédaction ce mardi 15 juillet 2025 , le cinéaste et éducateur Mamoudou Kéita appelle à une approche inclusive, durable et contextualisée du numérique.
« En Guinée comme ailleurs, les technologies émergentes permettent de mieux gérer nos ressources naturelles. Grâce à des applications mobiles, les agriculteurs prévoient les intempéries et optimisent leurs cultures. L’énergie solaire se démocratise dans les zones rurales, offrant une alternative propre à l’électrification traditionnelle, » affirme M.Keïta
Mais le cinéaste rappelle une vérité souvent éclipsée : la fabrication d’un smartphone consomme d’énormes ressources. « La durabilité ne doit pas être réservée aux riches pays. Elle doit être pensée pour tous, y compris les populations rurales et les plus pauvres. »
Il plaide ainsi pour une véritable équité numérique, à travers l’investissement dans les infrastructures, la formation des jeunes et la subvention des équipements essentiels : « La technologie ne doit pas rester un luxe pour les grandes villes », insiste-t-il.
S’inspirant de l’Afrique de l’Est et de l’Asie, Mamoudou Kéita cite plusieurs exemples : << la plateforme M-KOPA permet aux foyers modestes d’accéder à l’énergie solaire via des paiements mobiles ; en Inde, des startups conçoivent des systèmes de purification d’eau low-cost pour les villages. Ce sont des solutions simples, mais qui changent la vie de milliers de gens. La Guinée peut et doit s’en inspirer. »
Cependant, il alerte sur le danger d’un usage injuste ou exclusif de la technologie: << L’innovation ne devient moteur de progrès social que si elle sert l’éducation, la santé et l’environnement,>> dit-il.
Mamoudou Kéita voit dans la jeunesse guinéenne un levier essentiel : « Ce sont les plus connectés. Ils peuvent créer, inventer, revendiquer une technologie éthique. »
Il appelle également la société civile à jouer un rôle de vigie, de proposition et de sensibilisation. Concilier innovation rapide et sobriété numérique est, selon lui, non seulement souhaitable, mais vital : « En Guinée, mieux vaut un centre numérique bien équipé que des centaines de téléphones inutilisés.Les collectivités locales, l’école et l’État doivent tous jouer leur partition : inclusion, formation, accessibilité et régulation sont les piliers d’un numérique équitable. »
Abordant la question de l’intelligence artificielle, M. Kéita souligne ses potentiels : « prédiction des inondations, gestion intelligente des transports ou des déchets, suivi de la consommation d’eau. L’IA peut automatiser l’injustice si les données sont biaisées. Il faut des algorithmes compréhensibles, audités, conçus avec les réalités locales. »
Aujourd’hui, l’administration guinéenne reste en retrait face à ces enjeux. Le cinéaste appelle à former les fonctionnaires, bâtir des partenariats stratégiques et instaurer la confiance dans le numérique.
Pour terminer, Mamoudou Kéita souligne l’urgence de se doter d’un cadre juridique clair sur la protection des données, la responsabilité algorithmique, et l’inclusion numérique : << Chaque citoyen doit avoir le droit de comprendre, contester et décider de l’usage de la technologie. Il ne s’agit pas de copier les modèles étrangers, mais d’inventer une technologie propre, éthique et profondément locale.», plaide-t-il.
Gnima Aïssata Kébé