Adolescent, j’ai été témoin de propos qui me hantent encore, malgré l’usure du temps et les caprices de la mémoire. Comment effacer des mots qui se conjuguent à tous les temps et riment avec tous les régimes ? Les paroles tranchantes ne prennent aucune ride : elles marquent à vie.
Feu Siradiou Diallo, alors leader du Parti du Renouveau et du Progrès (PRP), effectuait une tournée politique à la faveur du multipartisme renaissant en Guinée. Reçu à Dinguiraye, ma ville natale, il anima un meeting dans l’un des vestiges du PDG – l’ancien parti unique effondré après la mort de Sékou Touré, dont le régime fut balayé par un coup d’État aussi facile que chevaleresque. Le lieu, autrefois nommé « permanence du parti », avait été rebaptisé « maison des jeunes ».
Pour des fautes commises avec la bénédiction de « son peuple » qui, soit ne dit rien et est donc consentant, soit monte au créneau pour faire acte d’allégeance et se montre complice, le chef de l’État, et dans une moindre mesure ses fidèles, sont les seuls à subir la vindicte populaire ou le glaive d’une justice sélective et expéditive. Un ou quelques-uns devront payer pour tous et répondront des crimes de tous : c’est l’injustice de la vie et la tyrannie de l’histoire.
Quand les sanctions sont individuelles alors que les torts sont partagés, pourquoi ceux, plus nombreux, passés entre les mailles du filet ne recommenceraient-ils pas de plus belle, n’étant ni couverts d’opprobre, ni bannis, encore moins frappés ? C’est bien connu, l’impunité est le terreau nourricier de la récidive.
Ce qui transparaît, en fin de compte et en filigrane, dans la saillie de Siradiou Diallo pour expliquer son choix de préférer le pardon et la paix des braves à une justice impossible à rendre, c’est qu’on ne peut pas faire le procès d’un pays tout entier, ni juger un peuple dans sa globalité. Il estimait qu’il est aberrant que quelques individus soient traînés devant les tribunaux alors que tout le monde a la conscience chargée et a participé, directement ou indirectement, aux crimes.
À sa façon, il a repris à son compte l’avertissement de Jésus qui, pour sauver une femme accusée d’adultère, lança à la cantonade : « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. »
Quel Guinéen peut encore se risquer à donner des leçons aux autres ? Quel cadre politique, citoyen peut juger les autres et leur faire la morale ?
Nous savons tous désormais que tricher, mentir, se servir, se renier, se rabaisser dans notre pays dépend du contexte et de ce que l’on peut gagner pour soi et les siens. L’opinion a été tant bernée par la faune des donneurs de leçons et défenseurs attitrés du « peuple ». Ouf !
Déjà qu’on ne croyait en rien ni en personne, il est désormais admis et permis de douter de tout et de se méfier de tout le monde.
Tibou Kamara.