C’est dans un environnement d’interdépendance des secteurs socio-économiques (santé, éducation, industrie…) du secteur numérique et d’un besoin permanent d’infrastructures numériques et de services innovants pour nos pays que la journée mondiale des télécommunications et des sociétés de l’information de cette année fut placée sous le thème « Innovation numérique pour le développement durable ».
Une récente étude de l’Union Internationale des Télécommunications a stipulé que sur les 46 pays les moins avancés du monde, 26 se trouvent en Afrique et cela, pour cause du manque d’accès à la connectivité sous-marine et d’autres infrastructures numériques innovantes. Les secteurs d’activité qui impactent la croissance économique de nos nations étant liés au secteur numérique, il est essentiel pour l’UIT et ses États membres de mettre en place des politiques et moyens techniques nécessaires au développement et à l’innovation numérique d’où le choix du thème mentionné.
Contexte
Le numérique étant un socle au développement durable, la révolution numérique ne laisse pas en marge les États africains. Au-delà du thème, la réalité est que vingt-un (21) sur les vingt-six (26) pays africains moins avancés pour cause de manque de connectivité n’ont pas de politique publique de développement numérique élaborée. L’heure est donc à la réflexion et à la mise en place de politiques et plans stratégiques axés sur un développement numérique pouvant accélérer le développement durable de nos nations. La Guinée a rejoint le rang des pays moins avancés avec une politique publique en se dotant d’une stratégie nationale de Digitalisation de l’Etat et de Développement numérique. Malgré les insuffisances structurelles et le chevauchement entre les initiatives à matérialiser de cette stratégie et les besoins réels du secteur guinéen de l’économie numérique, il est impératif pour le pouvoir public de mettre en place un Plan opérationnel et des indicateurs de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des initiatives pertinentes de ladite stratégie. L’heure est donc à la concertation et à l’opérationnalisation de cette stratégie qui permettra une amélioration considérable de la contribution du secteur numérique au PIB du pays. Il est important pour l’actuelle administration du secteur des Télécommunications de relever le défi d’une matérialisation à plus de 50% des politiques/Stratégies de développement numérique dans notre pays. Car de 2010 à nos jours, aucune des politiques sectorielles n’a été matérialisée à plus de 10%.
En Guinée, plusieurs investissements de l’Etat dans le secteur des télécommunications démontrent la volonté des autorités à faire de notre pays un HUB numérique. Ces investissements s’estiment à près de 300 millions $ de 2011 à nos jours. Ces investissements publics sont-ils capitalisés ? Comment réussir la transition numérique en Guinée ? La réponse à cette question se trouve dans le diagnostic et les pistes de solutions proposées plus bas.
Diagnostic du secteur des télécommunications
Depuis le passage du secteur des télécommunications du monopole d’Etat à la concurrence, l’administration guinéenne est restée dans une logique de collecte des recettes fiscales et non fiscales. Cette situation freine en effet tout développement numérique prenant en compte l’accès à moindre coût et de qualité des populations urbaines et rurales aux services liés au numérique, à l’internet, à la téléphonie…
Absence d’une vision structurée
La Guinée peine à faire sa transition des télécommunications classiques vers un secteur numérique nouveau contrairement à quelques pays africains dont le Sénégal et le Rwanda.
L’absence d’objectifs structurés et unifiés a provoqué une gouvernance par tâtonnement du secteur ces dernières années et qui à son tour a eu des conséquences énormes sur à la fois les recettes de l’Etat et le dynamisme du domaine dans son ensemble.
Faible mobilisation et sécurisation des recettes
De l’octroi des licences d’exploitation par des méthodes peu productives à la restriction de l’internet dans notre pays, le chiffre d’affaires du secteur continue à baisser (décroissance) depuis 2021 à nos jours. Les recettes fiscales étant proportionnelles aux revenus du secteur, cette décroissance affecte de facto la mobilisation fiscale en plus des difficultés de recouvrement avec certaines sociétés de téléphonie au bord du dépôt de bilan. En ce qui concerne l’impératif de sécurisation des ressources internes, il a été constaté par l’inspection d’Etat et autres institutions régaliennes de notre pays que plusieurs ressources fiscales comme les redevances sur les transactions électroniques (Mobile money) n’arrivent pas au trésor et cela depuis l’instauration desdites taxes en 2021. Un réel problème sachant que l’arrêté conjoint suivant le décret d’instauration desdites redevances a réparti cette recette comme suit : les 50% du recouvrement sont versés au Trésor et les autres 50% au compte de l’ARPT. Malgré que les factures liées auxdites redevances soient honorées par la plupart des opérateurs dans les finances mobiles, pourquoi la part du trésor n’arrive pas à destination ?
Relance de la Société Guinée Télécoms.SA
Après un investissement de 38 millions $ en infrastructures passives et actives et 2 millions $ en étude de 2012 à 2015, un décaissement peu transparent de près de 20 milliards GNF entre 2022 et 2023 dans le cadre de la relance de ladite société, la défunte Sotelgui peine à renaître de ses cendres. Une situation imputable à la faiblesse des approches et à la gestion peu vertueuse des ressources financières mises à la disposition entre 2022 et 2023.
Gestion des infrastructures et EPA sous-tutelles du MPTEN
Le statut inactif des infrastructures du Réseau métropolitain de Conakry, la commercialisation et l’exploitation peu productive des infrastructures ainsi que le poids de la dette de la SOGEB, l’absence d’infrastructures capables de lutter contre la fracture numérique, sont entre-autres les défis à relever. La Gouvernance des EPA du secteur, à l’image de la plupart de ceux du pays, présente des carences de résultats et d’absence de visions structurées et doit faire l’objet de plus de rigueur quant à la gestion financière.
Les EPA suivants : ANDE, ANSUTEN et ANSSI doivent faire l’objet d’une réorientation stratégique. L’ANSUTEN doit quant à elle aller au-delà de la formation et rediriger ses actions dans la lutte contre la fracture numérique dans les zones rurales et urbaines.
Réformes et Pistes de solutions Proposées
Pour pallier aux problèmes existentiels du secteur déclinés plus haut, les réformes structurelles ci-après sont proposées
Restructuration organique du secteur :
Afin d’aboutir à une transition de la télécommunication classique vers une économie numérique compétitive, il est primordial de réorienter les institutions étatiques en charge de la politique publique du secteur vers un objectif de développement numérique dont la matérialisation sera structurée et guidée par un plan de développement numérique à l’horizon 2030 que j’appelle Guinée Numérique 2030.
‘GuiNum2030’
NB : aucun secteur socio-économique ne peut se développer sans un plan !
Il est important de signaler que la stratégie nationale de digitalisation et du numérique actuelle est différente du plan de développement numérique proposé dans cette publication. Le dernier prendra en compte les objectifs essentiels du premier et les intégrera dans un vaste programme sur une période de 08 ans et qui fera objet de quatre (4) évaluations et dont une à mi-parcours.
Un environnement attractif doit être créé via la mise en place d’un système Quick Wins et l’évaluation rapide des taxes et redevances afin de réviser celles qui empêchent l’accélération numérique par le bien des investissements privés. Dans la même logique d’accélération numérique, une politique de révision à la baisse des tarifs pour le dernier consommateur doit être conçue afin d’améliorer le revenu par utilisateur et atteindre certains objectifs de la connectivité universelle visés par les Etats membres de l’UIT (Système des Nations Unies).
Gouvernance des recettes fiscales et non fiscales :
Dans un contexte de transition où les investissements directs étrangers se font rares, il est important de sécuriser les ressources internes afin que l’Etat assure ses dépenses fixes et d’investissements.
Amélioration des recettes fiscales :
En observant les pays africains qui ont réussi leurs politiques de développement numérique comme le Rwanda, on comprend que pour y arriver, il faut minimiser les investissements publics dans le secteur en encourageant et sollicitant les investissements privés car le coût du développement numérique est pharaonique. Je conseille l’adoption d’une stratégie de privatisation des infrastructures et investissements publics en difficultés dans le secteur à l’instar de Guinée télécoms, du Réseau métropolitain et de la Société de Gestion du Backbone. Ces Sociétés une fois privatisées, augmenteront les recettes fiscales et non fiscales (dividendes) de l’Etat et cesseront par ailleurs d’être une charge pour lui. Mais pour que cela soit possible, plusieurs réaménagements doivent être entrepris pour rassurer et encourager les investisseurs locaux et étrangers à y mettre leurs ressources.
Sécurisation des ressources internes issues du secteur
Longtemps considérée comme étant une vache laitière, je propose que le statut de l’Autorité de Régulation des Postes et télécommunications (ARPT) soit modifié afin qu’elle puisse se concentrer sur sa mission régalienne qui n’est autre que la régulation du secteur et de la concurrence. Pour cela, je propose que l’évaluation et la collecte de l’ensemble des taxes et redevances du secteur soient confiées à un cabinet international spécialisé pour une période de 3 ans non renouvelable. Et cela parallèlement à la digitalisation des procédures de recouvrement des recettes fiscales existantes dans le secteur.
Amélioration des recettes non fiscales :
En plus d’une gouvernance transparente des EPA et S.A versant des dividendes au trésor, je propose les prises de participation (Actions) par l’Etat dans les grandes sociétés existantes comme Orange et MTN. Cette approche est en ce moment réalisable avec l’OPV lancée sur MTN et les opportunités de concession de la technologie 5G dont une partie peut être utilisée à cet effet comme l’a fait l’Etat ivoirien lors de la Concession de la technologie 4G.
Révision de la législation
Pour libéraliser le secteur des télécommunications, il est impératif qu’en plus d’un Quick Wins du secteur, des facilités d’investissement soient créées par le billet d’un environnement fiscal compétitif dans le domaine des FAI, de la téléphonie et de l’entreprenariat numérique en particulier. Cette méthode combinée à l’autorisation des sociétés à faire l’exploitation et la commercialisation du FTTH et à déployer de grandes infrastructures numériques comme des câbles optiques terrestres et sous-marins, pourrait accélérer le taux d’accès des ménages aux services internet en Guinée. Un taux très faible qui est à l’ordre de 17% selon les derniers indicateurs de l’Union Internationale des Télécommunications. Cette facilité fiscale augmentera aussi la créativité et la compétitivité locale quant aux produits et services numériques.
Révision de la loi L/018 relative à l’organisation du secteur afin de l’adapter aux défis actuels.
La révision de la loi l/035 sur les transactions électroniques. Cette loi et le décret sur la régulation dudit domaine comportent quelques zones d’ombre qui créent un conflit de compétence entre la BCRG et l’ARPT.
Révision de la loi L/037 sur la cyber sécurité. En plus de la révision de cette loi, je propose la mise en place d’un centre de supervision informatique afin d’identifier les usagers sur internet ainsi que la supervision des activités qui découlent de celui-ci.
Digitalisation de l’Etat :
L’agence nationale chargée de la digitalisation de l’Etat a été créée au lendemain du 5 septembre 2021 en remplacement de l’ANGIE qui a existé entre 2015 et 2021. Quelques années plus tard, les mêmes problèmes restent pressants à savoir :
L’inadéquation entre la stratégie nationale de digitalisation de l’Etat et les besoins et stratégies sectorielles de digitalisation des institutions étatiques ;
L’absence de moyens financiers pour la matérialisation de la stratégie nationale de digitalisation ;
Une intégration des objectifs sectoriels dans la SNDE (Stratégie Nationale de Digitalisation de l’Etat) pour une meilleure harmonisation.
Pour pallier aux problématiques de financement, il est conseillé de mettre en place une approche de recherche de financement prenant en compte les apports extérieurs, les Partenariats Publics privés et les apports issus du Budget national de développement. Cette approche doit aussi prendre en compte une stratégie d’autofinancement des plateformes et outils implémentés.
Il est aussi important de mener une réflexion sur le mode de financement de l’Agence en charge de la digitalisation de l’Etat qui comme d’autres EPA peine à accéder à son budget de fonctionnement qui est annexé au BND.
Promotion des Start-ups et Digitalisation de l’Etat
Dans les différentes phases de la digitalisation à savoir : dématérialisation, informatisation et digitalisation, l’implication des start-ups de droit guinéen doit être prioritaire afin de promouvoir les produits et talents locaux ainsi que les innovations numériques locales.
Cette implication des start-ups locales doit passer par un processus de conception d’une base de données nationale qui permettra d’enregistrer, classifier et catégoriser les différentes entreprises locales dans le domaine de la digitalisation et de l’innovation numérique en Guinée. Cette promotion des start-ups permettra une création de richesses et des emplois et induira une amélioration de la contribution du secteur au PIB du pays.
Quelles solutions pour Guinée Télécoms ?
La solution de relance de Guinée Télécoms se trouve dans le contexte actuel dont se retrouve la téléphonie mobile guinéenne. Considérant le risque de se retrouver avec un seul opérateur sur le marché et t la problématique de surendettement de deux des trois sociétés du marché, une stratégie de recapitalisation de MTN et Cellcom doit être engagée afin de transformer les dettes de l’Etat en actions dans ces entités. Une opération qui permettra l’augmentation des titres sociaux de l’Etat dans ces sociétés avec une probabilité d’en être l’actionnaire majoritaire.
L’approche est donc de fusionner les immobilisations corporelles et incorporelles de Guinée télécoms à l’une des sociétés en crise après sa recapitalisation. Sur la base des expériences précédentes de gouvernance des sociétés de téléphonie par l’administration publique guinéenne, il est conseillé une privatisation de Guinée télécoms. Dans l’approche de fusion que je propose, elle aura pour rôle principal la gestion des capitaux de l’Etat dans les sociétés en objet.
Kaba Mamadi,
Consultant en développement numérique
Mai 2024