L’ultimatum de la CEDEAO pour faire la guerre au Niger a expiré cette nuit. Les nouvelles autorités militaires qui ont pris le pouvoir dans ce pays pour plusieurs raisons valables se montrent déterminées à repousser toute agression extérieure.
En Guinée, le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) s’est désolidarisé des sanctions financières et commerciales prises par l’organisation sous-régionale contre le peuple frère du Niger, d’il y a une semaine. Le CNRD condamne également l’option militaire envisagée pour la remise du pouvoir au président déchu. Pour les autorités guinéennes, une des conséquences dévastatrices de toute intervention militaire conjointe au Niger serait la « dislocation de la CEDEAO ». Alors, la CEDEAO des peuples appelée de leurs vœux par ses citoyens remplacerait la CEDEAO des Chefs d’Etat, qui poursuivent uniquement leurs objectifs communs liés à ceux de leurs maîtres occidentaux? C’est du moins le sentiment général dans les quinze pays de l’espace.
Tout au long de la semaine écoulée, la position clairvoyante du Colonel Mamadi Doumbouya et du CNRD trouve un écho favorable, non seulement au sein de la jeunesse, des populations et parmi les influenceurs de l’Afrique Occidentale, mais egalement auprès du Président libérien, Son Excellence Monsieur George Weah, d’anciens hauts gradés et de spécialistes en géopolitique de la sous-région.
La position exemplaire et éclairée du CNRD et de son illustre Président a aussi rencontré l’adhésion d’élus et de ministres occidentaux qui suivent de près l’évolution de la situation au Sahel.
Une intervention militaire au Niger ferait d’innombrables victimes civiles dans ce pays et provoquerait une riposte acharnée et solidaire des États de la région des trois frontières (Mali, Burkina Faso et Niger). Ces trois pays ont des dizaines de milliers de soldats expérimentés et aguerris par les combats incessants contre les incursions terroristes dans le Sahel. Ils possèdent d’armements redoutables comme lesforcesarméesguinéennes. Ils sont capables d’infliger de lourdes pertes aux envahisseurs et même de frapper les pays voisins qui fourniraient des troupes et un arsenal militaire à la CEDEAO pour qu’elle mène une offensive mortelle et inhumaine contre un pays frère et souverain.
En tout cas, les autorités militaires nigériennes ont été claires là-dessus. Toute opération conjointe contre leur territoire entraînerait une réaction violente et légitime dirigée vers les pays voisins participants. Ce serait une guerre fratricide sans merci, dont la responsabilité historique incomberait entièrement aux Chefs d’Etat de la CEDEAO qui se laisseraient embarquer dans cette entreprise cruelle par des puissances étrangères motivées uniquement par la sauvegarde de leurs intérêts économiques et géostratégiques au Niger, en particulier, et au Sahel, en général.
Les conséquences d’une guerre de la CEDEAO et de ses alliés étrangers contre un pays du Sahel seraient incalculables. Il est bien admis que l’enjeu majeur pour les Etats du Sahel est le défi sécuritaire à relever face à la mouvance terroriste qui sévit dans la région à partir du nord du Nigéria et des vastes étendues semi-désertiques du Sahara. C’est un problème chronique et lancinant qui a entraîné d’énormes pertes militaires et civiles mais aussi qui grève le budget national, normalement affecté, en priorité, au développement socio-économique.
C’est aussi un problème que les Chefs d’Etat civils ainsi que les Casques bleus et les troupes d’appui occidentales ont peiné à résoudre ou en tout cas à endiguer.
Ce constat alarmant a amené successivement les armées malienne, burkinabè et nigérienne à prendre les destinés de leur pays en main pour assumer leur vocation, à savoir défendre l’intégrité du territoire et assurer la sécurité des personnes et des biens tout particulièrement sur les zones les plus vulnérables afin de permettre aux populations déplacées par l’insécurité de revenir sur leurs terres et d’y vivre paisiblement. C’est certes un travail de longue haleine, mais seule une transition militaire peut faciliter la faisabilité.
Le cas de la Guinée est lié à la crise sociale et politique née d’un troisième mandat illégal, mais il présente aussi un aspect sécuritaire évident puisque le terrorisme menace toute la région ouest-africaine. On a constaté, avec surprise, lors de l’attentat terroriste sanglant perpétré à partir de la mer en mars 2016 sur la plage de Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, que les djihadistes veulent s’emparer de tous les Etats de la CEDEAO, avoir un vaste débouché sur la mer et frapper facilement l’Europe chaque fois qu’ils le voudront.
Cette réalité devrait amener les Chefs d’Etat de la CEDEAO à revenir à de meilleurs sentiments, comme le préconisent le CNRD et le gouvernement guinéen. Il faut absolument mettre dans la balance le risque que leur projet d’invasion du Niger ne soit du pain bénit pour la mouvance terroriste dans la zone sahélo-saharienne, c’est-à-dire une opportunité pour elle de profiter du chaos engendré pour s’infiltrer plus en avant dans le pays comme le ver dans le fruit.
Là où il y a guerre, il y a chaos et là où il y a chaos, il y a opportunités pour ceux qui les guettent.
A l’évidence, la lutte contre le terrorisme ne peut être menée efficacement en Afrique par des civils. L’alternative pour la CEDEAO est, soit engager les hostilités contre le Niger sans avoir aucune certitude de parvenir à ses objectifs, sauf à prendre le risque d’engendrer un bilan humain et matériel très lourd avec pour premières victimes collatérales potentielles le président déchu lui-même que l’on veut rétablir dans ses fonctions ainsi que sa famille, soit s’incliner devant le fait accompli, reconnaître la souveraineté des États et négocier avec les nouvelles autorités nigériennes pour une libération de tous les dignitaires détenus, une transition apaisée et concertée et un front commun contre le terrorisme qui mine la vie politique, économique et sociale du Sahel. Cette dernière option est celle de la sagesse et du bon sens géopolitique. C’est aussi une question de survie pour la CEDEAO elle-même.
Le vin est tiré, il faut le boire.
Mandian SIDIBE
Journaliste