La Guinée, l’un des rares pays pour ne pas dire l’unique pays des 193 membres de l’Union internationale des Télécommunications à ne pas avoir une société nationale de téléphonie ou de fourniture d’accès à internet. Une triste réalité causée par la fermeture de la défunte société « SOTELGUI » et une incapacité de relance de son fils « Guinée Télécoms » depuis plus de huit (8) années. Comme les derniers rapports de l’UIT sur les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) stipulent, la Guinée est l’avant-dernier pays dans le classement des pays ayant les meilleures qualités de service internet au monde. ‘’Une réalité amère’’. Cette réalité et d’autres retards du secteur numérique et des TIC en Guinée sont la résultante de plusieurs années de Gouvernances chaotiques, d’absence d’ambitions et de stratégies coordonnées de développement dans le secteur.
En effet, plus d’une décennie après l’atterrissage du câble sous-marin à fibre optique en République de Guinée, moins de 20% des ménages en Guinée ont accès à internet selon une étude de la Banque mondiale sur le développement numérique en Afrique de l’ouest. Un fait qui s’explique par l’absence d’infrastructures actives et passives adéquates de télécommunications comme les réseaux métropolitains et l’incapacité d’exploitation efficiente et efficace du peu d’infrastructures existantes. L’unique réseau métropolitain dans lequel l’Etat a investi est resté inexploité six années après son implémentation dans la capitale Guinéenne. À mon avis, le retard est réel et il faut travailler pour y remédier de la plus méthodique et durable des manières possibles. Il ne saurait être une fatalité, enfin je refuse d’accepter qu’il en soit ainsi. La volonté du pouvoir public actuel à corriger ces tards est appréciable, après près de deux ans de gouvernance, arrive-t-il à matérialiser cette volonté en impacts socio-économiques ? Qui est le but de toute Gouvernance des TIC d’un Etat ! Pour répondre à cette préoccupation, prenons en cas pratique ‘la problématique de déploiement d’un service internet de qualité aux ménages, PME, Universités, Hôpitaux et tant d’autres sites stratégiques pour la survie d’une nation’. Internet étant primordial dans tous les domaines d’activités, il est même considéré comme étant un booster de l’économie nationale et un excellent réducteur de la pauvreté dans les milieux urbains et ruraux des pays. Dans un pays avec une moyenne de 86% de disponibilité d’internet et moins de 24% d’utilisation (Rapport Afrique Numérique Banque mondiale du mois de Mars dernier) comme le nôtre, quelle approche ou méthode l’État doit adopter pour desservir tous les ménages, PME et Grandes entreprises nationales du pays ?
Avant d’exposer l’approche et la méthode qui me semblent à même de résoudre ladite problématique, l’Etat guinéen à travers le Ministère des postes, télécommunications et de l’économie numérique vient de délivrer une licence d’infrastructure autorisant la Société Guinéenne de Fibre Optique (GFO) à déployer des réseaux à fibre optique sur l’ensemble du territoire national. En supposant qu’il ‘Etat’ espère pallier aux carences d’accès aux services internet de qualité des guinéens. Qui est donc la GFO ?
La Guinéenne de Fibre optique est une Société par Actions simplifiée ‘SAS’ créée en 2022 à Conakry et détenue à 85% par Mouna Group de l’ex Ministre des Travaux publics d’Alpha Condé et à 15% par l’Electricité de Guinée (EDG.SA). En bref, le fournisseur d’accès à internet ‘Mouna Group’ est propriétaire de ladite entité. Cette entité 100% privée avec 0% d’actions de l’Etat, déploie sa fibre optique de Conakry à l’intérieur du pays afin de desservir en internet les foyers, ménages et entreprises. Une activité qui a toujours été du ressort du pouvoir public et des collectivités dans la plupart des pays du monde. Par ailleurs, certains pays optent pour un déploiement via un partenariat Public-Privé (Etat+Actionnaires privées). Au-delà de l’aspect économique, une question de souveraineté se pose que le déploiement soit terrestre ou aérien, l’espace appartient aux pouvoirs publics. Une notion élémentaire ; à cet effet, aucune entité outre l’Etat et ses collectivités ne doit et ne peut s’en approprier.
Contraintes liées aux retards du secteur numérique guinéen dans la fourniture minimale des services basiques comme internet à la population :
La Guinée dotée dans les années 70 de la toute première société de téléphonie de l’Afrique de l’ouest, est aujourd’hui le dernier de la classe dans la sous-région en la matière malgré plusieurs millions de dollars américain d’investissements publics et la présence de plusieurs investissements privés. L’incapacité du pouvoir public à intégrer les investissements publics et privés dans une stratégie nationale efficace de réduction de la fracture numérique et de la réduction du coût des services de qualités. Le besoin est évident, mais n’aurait-il pas été préférable de travailler sur une vision globale et des méthodes adéquates pour une résolution durable et pouvant protéger les intérêts nationaux et la souveraineté du numérique de l’Etat comme proposé dans les derniers chapitres de mon livre ci-dessous :
Aspect réglementaire et de la Concurrence à la Licence d’infrastructure à GFO :
La Société Mouna Group étant un fournisseur d’accès à internet et sous régime d’autorisation en Guinée et étant par ailleurs Propriétaire de la Guinéenne de fibre optique (85% de parts d’actions), la GFO ne devrait pas être dotée d’une licence d’infrastructure sans une convention spécifique entre elle et son fournisseur d’accès à internet. Une convention signée sous l’œil vigilant du régulateur afin d’éviter de futures concurrences déloyales entre Mouna Group et les autres sociétés de FAI. Encore une fois, le mécanisme et la bonne méthode ont manqué dans la délivrance des Licences on a mis les charrues afin les bœufs. En réalité, la GFO a commencé le déploiement de sa fibre optique sans licence ni autorisation. Contraint par l’application et les dispositions de la loi et le pouvoir que dispose le Régulateur, ladite société arrête les travaux qui reprendront avec la concession de la Licence d’infrastructure par le Ministère de tutelle avant même la finalisation du cahier de charges qui est le cœur des licences.
Un élément important à prendre en compte est le risque qu’à l’image de la téléphonie, le secteur se voit dans les années à venir en face d’un opérateur privé extrêmement dominant dans la fourniture d’accès à internet sur le territoire guinéen. Sans oublier le risque lié à la question de la capacité technique de ladite société créée il y a moins d’une année, à pouvoir réaliser sans stratégie nationale de développement, une exploitation efficiente qui puisse combler le besoin socio-économique du pays en ce sens. Le régulateur existe mais certaines contraintes et l’absence de dispositions réglementaires adoptées aux contextes actuels sont défavorables au régulateur pour une réglementation optimale et efficiente. La législation actuelle ‘Loi l/018’ veille il y a 30 ans et amendée en 2016 est totalement en déphasage avec les réalités actuelles. Cette législation sur les télécommunications et TIC fut promulguée pour la première fois afin de faire passer le secteur des télécommunications du monopole d’Etat à la libre concurrence et n’est plus adoptée à l’ère d’un secteur libéralisé et ouvert à la concurrence. Pour toutes les entreprises privées locales ou internationales tapant à la porte de l’Etat dans le même sens que GFO, exposent le secteur aux mêmes problématiques tant au niveau de la souveraineté qu’au niveau structurel et réglementaire.
Les Approches et méthodes que je propose pour une amélioration d’accès des ménages aux services internet de qualité et à moindre coût :
Dans le dernier rapport de la Banque mondiale ‘Afrique Numérique, transformation technologique pour l’emploi’ le constat est amère « Plusieurs années après la mise en place des fonds d’appui Covid-19 et les investissements des pays africains et leurs partenaires dans le cadre du développement numérique, le fossé entre la disponibilité des services internet et numérique et l’accès de la population à ceux-ci reste grand et dont la réduction reste un réel défi pour les pays africains particulièrement une bonne partie de ceux de l’ouest ». En bref, la problématique d’impact socio-économique des investissements et politiques dans le secteur numérique reste un défi.
Après la publication dudit rapport de la Banque mondiale, j’ai été très ravi de constater que les approches et la vision de développement numérique que je propose à la Guinée depuis des années et consignée dans mon livre sont à 90% similaires pour ne pas dire identiques que propose la banque mondiale aux pays africains.
Accès aux services internet de qualité dans les zones urbaines :
Comme la banque mondiale, pour une amélioration du niveau d’accès efficient à internet des populations urbaines, l’Etat doit davantage s’investir dans le déploiement des infrastructures passives comme la fibre optique et autres. Ainsi et surtout élaborer un cadre stratégique clair et efficace prenant en compte les problèmes et solutions adoptées aux réalités. Je propose deux options à cet effet :
o Investissement de l’Etat ou des collectivités dans les réseaux d’accès des foyers, ménages et autres, avec une délégation de service public (DSP) à l’image de la France, du Canada…C’est-à-dire, le pouvoir public (Etat et collectivités) garde la souveraineté numérique et collabore avec des privées pour une meilleure exploitation ; Cette solution peut être contraignante pour un pays à faible capacité de mobilisation des ressources et investissements publics. Mais elle reste une solution exploitable avec de la vision et une bonne méthode. Enfin elle me semble être plus adoptée que l’approche actuelle qui réduit en un mot le peu d’approche efficace qui reste pour le lancement de la société nationale « Guinée Télécoms ».
o Investissements via PP (Partenariat Publique Privé), il n’est pas trop tard pour faire appliquer cette méthode. A mon avis il faut éviter de créer une société privée largement dominante sur le marché comme dans la téléphonie. Que l’Etat prenne des actions dans GFO au-delà de la participation d’EDG.SA qui est une société anonyme à capital ouvert et non qualifiée dans le secteur. La gestion des actions et la participation de l’Etat dans cette structure peuvent-être à mon avis gérées par la Guinée-télécom. Une possibilité à l’état embryonnaire qui mérite d’ample réflexion et d’études.
o Investissement/Financement par BOT(Build-Operate-Transfert):
Une méthode permettant à la fois de garder la souveraineté numérique et la résolution du manque d’accès aux services.
Accès aux services internet de qualité dans les zones rurales :
Un organe gouvernemental étant déjà en place pour une meilleure Gouvernance des fonds de services universels et de formation, le pouvoir public doit travailler sur une stratégie nationale inclusive spécifique à la réduction des zones blanches et la fourniture des services essentiels. D’après mes informations, des études et travaux sont en train d’être réalisés par l’agence à cet effet.
Enfin, toutes ces stratégies ne seront être productives que si elles sont intégrées dans une vision de développement numérique à l’image de ma proposition Guinée-Numérique à l’horizon 2030 (GuiNum 2030)
KABA MAMADI
Spécialiste des Télécommunications & Développement Numérique
Auteur du livre :
« Les Freins du développement Numérique en Guinée et ma Vision »
Email : [email protected]