“Nos progrès en tant que nation dépendront de nos progrès en matière d’éducation. L’esprit humain est notre ressource fondamentale.” disait JFK! Ce qui m’amène à m’interroger sur le système éducatif de notre pays au regard des résultats de l’examen d’entrée en 7ème et du BEPC 2022 ? En tant qu’acteur du secteur je pense plutôt que le diagnostic du programme décennal de l’éducation 2022-2030 devrait servir de base de réflexion.
A- NOTRE ÉCOLE AUJOURD’HUI : Performances et défis !
1- L’ABSORPTION DE LA POPULATION SCOLAIRE : Trouver un banc dans une classe pour chaque enfant en âge d’aller à l’école ! Des effectifs scolarisés en nette progression dans presque tous les cycles.
Dans le préscolaire les effectifs ont quasiment triplé, passant d’environ 89 000 élèves en 2007 à 256 000 élèves en 2018. Les services publics sont quasi inexistants, avec seulement deux établissements à Conakry scolarisant 741 élèves au total. Ce sous-secteur est essentiellement porté par le privé et le communautaire, qui représentent respectivement 86% et 13% des préscolarisés du pays en 2017. Dans le primaire, les effectifs ont également connu une augmentation régulière, passant d’environ 1 250 000 en 2006 à plus de 2 millions en 2018 (facteur multiplicateur de 1,6). Ici, la majorité des effectifs est scolarisée dans le public, mais ce dernier perd de plus en plus de son importance – 68% en 2018 contre 76% en 2006 –au profit du privé en pleine expansion. Au 1er cycle du secondaire général, les effectifs sont aussi en hausse, passant d’environ 350 000 élèves à environ 508 000 en 2018, soit une augmentation de plus de 40 % sur la période. Comme observé au primaire, à ce niveau le privé progresse rapidement mais l’Etat demeure encore le principal fournisseur du service (63% en 2018). Il en est de même au 2nd cycle de l’enseignement secondaire, avec une augmentation globale des effectifs sur la période 2006-2016, et une légère diminution entre 2014 et 2018. Les effectifs sont ainsi passés de 122 mille élèves scolarisés en 2006 à 204 mille en 2016 avant de retomber à 188 mille en 2018. Cette évolution globale se caractérise par une diminution de 5,4% (100 mille élèves en 2006 contre 95 mille en 2018) des effectifs scolarisés dans le public, alors que ceux du privé ont été multipliés par 4,8 sur la période. Ainsi, le privé représente plus de la moitié (51%) des effectifs scolarisés en 2018 contre seulement 18% en 2006.L’ETFP est très peu développé, avec une formation tournée essentiellement vers le secteur tertiaire. En 2016, ce sous-secteur comptait environ 34 000 apprenants dont un sur cinq est inscrit dans un centre privé. Enfin, au supérieur, les effectifs sont également en hausse, avec l’enseignement privé qui a connu un développement spectaculaire grâce en partie aux subventions de l’Etat. Le nombre d’étudiants a ainsi augmenté de 49% entre 2007 et 2016, passant d’environ 68 000 à plus de 100 000 avant de reculer à environ 87 000 en 2018.
Au cours de la période 2006-2018, la couverture scolaire mesurée ici par le taux brut de scolarisation (TBS) est passé de 10 % à 25 % au préscolaire, de 91% à 106% au primaire. On note toutefois, une certaine stagnation de la couverture au 1er cycle du secondaire autour de 50% puis une évolution erratique de la couverture scolaire au lycée qui est passée de 25% à 31% entre 2006 et 2016 puis baisse à 25% en 2018.
Seulement deux tiers des jeunes reçoivent aujourd’hui 6 années de scolarisation Si le taux brut d’admission (TBA) au CP1 était de 117% du fait notamment des entrées précoces et tardives dans le système, l’achèvement du cycle primaire reste un défi. Estimé à 67% en 2016, le pays n’a pas atteint l’objectif d’achèvement universel puisque près du tiers d’une génération de jeunes guinéens n’atteint pas la classe de CM2, et ce, soit parce qu’ils n’ont jamais été scolarisés soit parce qu’ils ont abandonné l’école précocement. Par ailleurs, au moment où le pays voudrait offrir à chaque jeune guinéen au minimum 10 années d’études à l’horizon 2030, le taux d’accès en 10ème année d’études (fin du 1er cycle de l’enseignement secondaire) n’est que de 32%, témoignant ainsi des défis importants à relever. En termes de comparaison internationale, ces performances placent le pays dans une position relativement peu favorable puisque les valeurs de la Guinée classe le pays systématiquement en deçà de la moyenne des pays comparateurs sauf pour l’accès au primaire.
De nombreux enfants et jeunes guinéens sont en dehors du système éducatif Selon l’enquête MICS de 2016, environ 1,6 million d’enfants et jeunes guinéens âgés entre 5 et 16 ans (soit 44% de cette tranche d’âge) sont en dehors du système éducatif. Si certains de ces enfants peuvent accéder un jour à l’école – les informations disponibles montrent que l’accès au CP1 se fait jusqu’à 13 ans. D’autres n’auront jamais cette chance. En effet, selon les données de la même enquête, jusqu’à 40% des guinéens âgés de 5 à 24 ans n’ont jamais été scolarisés.
En 2016 le Coefficient d’Efficacité Interne (CEI) à l’enseignement primaire tourne autour de 68%. Cela signifie que près de 32% des ressources investies au primaire financent soit des redoublements soit des individus qui abandonnent l’école avant la fin de la 6ème année d’études.
2- UNE INSERTION PROFESSIONNELLE DIFFICILE
Le marché du travail en Guinée est caractérisé par une population active jeune avec une prédominance des emplois informels. Les jeunes semblent avoir plus de difficulté à s’insérer dans le secteur moderne dans la mesure où 94% des 15-29 ans étaient employés dans le secteur informel en 2012, contre 89% chez les 30-64 ans. Le marché du travail informel emploie davantage de femmes que d’hommes (97% des femmes actives, contre 87% des hommes en 2012) et plus de ruraux que d’urbains (98% des ruraux actifs, contre 75% des urbains). Les données montrent aussi que 66% des actifs en emploi exercent une fonction dans le secteur primaire (agriculture essentiellement), contre 15% dans le commerce, 14% dans les services et seulement 5% dans le secteur de l’industrie. Il convient de souligner que le gouvernement guinéen travaille depuis quelques années à l’intégration du secteur informel dans l’économie nationale par notamment la création de centres de gestion agrées (CGA) visant à inciter les opérateurs économiques du secteur informel à se formaliser en leur offrant par exemple certains avantages fiscaux.
B- DES PISTES DE SOLUTIONS EN 10 POINTS :
Depuis la fin de la crise Ebola la priorité budgétaire pour l’éducation a connu une légère hausse Les dépenses totales d’éducation ont fortement augmenté entre 2006 et 2016, de 267 milliards de GNF à 1 971 milliards de GNF, ce qui traduit un taux de croissance annuel moyen de 22 % (9% de croissance en termes réels). Elles sont constituées en majorité des dépenses courantes, même si celles-ci ont connu un léger recul sur la période récente, de 96 % du total en 2015 à 91 % en 2016. Les dépenses d’investissement ne représentent que 9% des dépenses totales d’éducation en 2016. Les dépenses d’investissement d’éducation sur ressources propres stagnent sous la barre des 10% des dépenses publiques totales d’éducation. Cependant des efforts restent à faire si l’on veut atteindre l’objectif intermédiaire visé (OND3.4.3) Améliorer l’accès, l’offre et la qualité de l’éducation et de la formation tout en les adaptant aux besoins de l’économie nationale. Ceci s’exprime en trois résultats ou effets : effet 1 : l’accès des populations à une éducation préscolaire, primaire et secondaire de qualité ; effet 2 : l’accès des populations à un enseignement supérieur de qualité et adapté aux besoins de l’économie ; effet 3 : l’accès des populations à un enseignement technique et une formation professionnelle de qualité et adaptés aux besoins de l’économie.
Comment faire face aux défis de la surpopulation scolaire si les projections de l’Institut National de Statistiques montrent que la population scolarisable (4 à 24 ans) passera de 5,2 millions (soit 41% de la population totale) en 2014 à un peu plus de 8 millions (40%) en 2030, soit une augmentation de plus de la moitié en seulement 15 ans. D’autre part comment qualifier le système ? Éléments de propositions :
B-1 PLUS DE MOYENS POUR LE SECTEUR : Pour pallier aux insuffisances de notre école l’on doit augmenter la part du budget alloué au secteur de 20-25 % nécessaires pour l’atteinte des ODD horizon 2030 (estimations MOCAM)
B-2 Développement progressive d’une éducation de base diversifiée
B-2.1 Universalisation du primaire, par une plus grande équité
B-2.2 Mise en place progressive d’un enseignement de base de 10 ans avec dans un premier temps un passage par l’ETFP post primaire
Au-delà du primaire la stratégie vise à permettre à des nombres croissants d’élèves ayant achevé le primaire la possibilité d’accéder au collège qui s’intègrera dans l’éducation de base de dix ans. Cette éducation de base préparera davantage les jeunes à une insertion sociale, à la formation professionnelle, ou à la poursuite d’études académiques ou techniques. L’objectif est que, d’ici 2030, 70 % des sortants du primaire continueront vers le collège et 30 % dans l’EFTP ; post-primaire. L’organisation de l’offre du premier cycle du secondaire tient compte des contraintes financières et institutionnelles du pays et repose sur les principes suivants : (i)La poursuite de la construction des collèges en privilégiant la réduction des disparités entre régions et entre milieux de résidence ; (ii)Le recrutement de professeurs de collèges bivalents ou polyvalents. Cette mesure permettra d’éviter les situations de sous-services qui peuvent être constatées dans les petits établissements ;(iii)L’optimisation de l’utilisation des salles de classe, à travers l’étalement des horaires hebdomadaires de travail des collèges pour permettre d’augmenter le temps d’utilisation de la classe et de diminuer de manière conséquente les besoins en construction ; (iv)La réduction du redoublement qui permettra de réduire les gaspillages de ressources et l’accueil d’un nombre plus important de jeunes.
B-3 Renforcement des liens entre l’éducation et les besoins de l’économie du pays
La seconde priorité de la nouvelle politique éducative se fixe comme objectif de renforcer les liens entre l’éducation et les besoins en compétences et qualifications pour favoriser le développement social et économique du pays. Cette priorité est prise en compte à différents niveaux :
B-3.1 Diversification du collège
B-3.2 La réforme de la formation professionnelle : L’offre de formation professionnelle aura plusieurs cibles :(i) Les enfants de 14 ans et plus, qui achèvent le primaire et dont les compétences sont plus aptes à un enseignement technique ou une formation professionnelle ; Ils pourront accéder à une variété de formations qualifiantes dans l’ETFP post primaire. (ii) Les jeunes ayant achevé le collège, et qui désirent continuer dans une voie technique ou professionnelle, et certains sortant de l’ETFP post primaire pourront accéder à des formations de type A ;(iii) Les jeunes bacheliers et les diplômés de l’ETFP de type A qui voudront poursuivre leur formation, auront accès à des formations professionnelles de type B.
B-3.3 Diversification des filières dans le lycée ;
B-3.4. La réforme du supérieur (stabilisation et adéquation) ;
B-4 Promotion de l’alphabétisation des adultes ;
B-5 Amélioration de la qualité des apprentissages à tous les niveaux
B-6 Amélioration de la gouvernance du système ;
B-7 La formation continue des formateurs ;
B-8 Amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants !
B-9 Développement de la recherche et de l’innovation ;
B-10 Coopération internationale.
Sources : INS, MENA, PRODEG, BM, AFD, MOCAM
Mohamed Camara
Économiste Consultant