Dans le communiqué de dissolution des institutions, le leader du CNRD a étendu ce concept à la Constitution. Des commentateurs ont trouvé dans cette extension sémantique, une erreur conceptuelle qu’il convenait de corriger en la remplaçant par le concept éminemment courant de « suspension ». La certitude de l’erreur a ainsi semblé faire échec à toute recherche de piste de nature à comprendre les fondements éventuels, du choix sémantique, qui ne renverraient nécessairement à l’idée de la suspension. Or, l’improbabilité d’une hypothèse ne justifie pas qu’on l’ecarte de l’étude.
Pour éviter d’adhérer à cette approche exclusive – représentant une entrave à l’approfondissement de la réflexion sur le fondement de ce choix sémantique – envisageons un examen. Tout d’abord, la suspension s’entend d’une « mesure temporaire qui fait provisoirement obstacle à l’exercice d’une fonction ou d’un droit, à l’exécution d’une convention ou d’une décision, au déroulement d’une opération ou d’une instance soit à titre de sanction soit par mesure d’attente ». (Cornu G., Vocabulaire juridique, PUF, p. 1999.). Spécifiquement, en matière constitutionnelle, la suspension « évoque l’idée de l’exception, de limitation dans le temps des effets de certaines dispositions de la Constitution qui conservent leur validité en perdant leur efficacité ». (Mahamadou Ouedraogo S., La lutte contre la fraude à la Constitution en Afrique, 2011, p. 137).
C’est en ce sens que Vergottini de Giusseppe délcarait que la suspension n’affecte pas la norme en vigueur, mais elle suspend la vigueur de la norme concernée. » (De Vergottini G., Diritto costituzionale comparato, 4e ed. 1993, p. 187.). TATCHUM Charles précise ainsi que, « dans la pratique constitutionnelle africaine, la suspension de constitution se rattache aux situations de discontinuité ou de rupture des ordres constitutionnels consécutifs aux crises sociopolitiques graves liées à la contestation de l’autorité et de la légitimité des gouvernants en place » (TATCHUM Charles Tuekam « La normativité des actes de suspension de la Constitution dans les Etats d’Afrique francophone p. 7).
Pour irréversiblement soutenir que le terme « suspension » devrait nécessairement être utilisé à la place de ‘‘dissolution’’, il aurait fallu se poser – avec un peu de recul – la question préalable de savoir, si au fond, le leader du CNRD entendait parler de « suspension » de la constitution ou de son « abrogation » pure et simple, même en l’absence de texte équivalent nouveau. Mais avant de répondre à cette question, il convient de souligner deux précisions préalables.
La première tient au fait que la question de savoir si le leader du CNRD a la faculté d’annoncer l’abrogation d’une constitution est différente de la question des conséquences susceptibles d’en résulter. La seconde repose sur le fait que pour demeurer cohérents, le commentateur ou l’analyste qui conteste le pouvoir du leader du CNRD d’abroger une constitution –au nom de l’irrégularité de la procédure – devrait du même coup contester le pouvoir de celui-ci de suspendre la Constitution. Car, il n’a, en période ordinaire, ni l’un ni l’autre, en période ordinaire. Il se donne ainsi l’un et l’autre en période d’exception.
Revenant à la question, (Ch. Eisenmann, dans « La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, LGDJ, 1928) » rappelle que « l’acte constituant peut être supprimé {prêtons attention au terme utilisé} par un autre acte constituant, mais qu’il peut être non pas abrogé (c’est-à-dire légalement remplacé ou supprimé) mais aboli. Olivier Beaud déclare, en ce sens, que « l’abolition partage avec l’abrogation l’idée de la fin d’une disparition de la norme ou de l’ensemble de normes par un acte de volonté. Mais elle s’en distingue par le caractère nécessairement illégal de cette disparition. L’abolition de la constitution est son abrogation illégale ». (BEAUD Olivier, La puissance de l’Etat, PUF, 1994, (p. 352-353).
Ces brefs éléments conceptuels appellent quelques commentaires. Tout d’abord, ils révèlent qu’en parlant de la fin de la constitution, la doctrine utilise d’une manière assez libérale un nombre important de concepts. Outre l’abrogation, elle recourt à l’« abolition », la « suppression », la « disparition », pour désigner la fin de la Constitution sans que cela ne fasse obstacle à la pertinence de l’analyse au fond. Au surplus – c’est assurément l’aspect le plus digne d’intérêt – ces auteurs n’utilisent pas les notions d’« annulation », de « retrait » en parlant de la même fin de la constitution.
La question de droit qui se pose est celle de savoir, pourquoi adoptent-ils une conception large du choix sémantique dans la désignation de la ‘‘fin’’ de la Constitution sans intégrer les notions (d’annulation, de retrait) ? Ils ne le font pas parce que ces derniers termes ont des conséquences de droit manifestement différentes, étant entendu qu’elles ont des effets rétroactifs.
Ainsi, pour trouver dans l’extension à la Constitution du terme « dissolution », pour désigner sa fin, une situation représentative d’une erreur de droit, encore faut-il commencer par relever que ce mot aurait des effets déraisonnables hormis les seules dimensions de l’usage fréquent et de la convenance sémantique formelle. Devrait-on dire, qu’en vérité, sur cet aspect, la doctrine conforte la flexibilité de la sémantique utilisée pour désigner la fin (et non la suspension) de la Constitution. Elle le fait, car, le problème véritable relève du fond que l’esprit du discours permet de déceler pour qui souhaiter aller plus loin.
Avant de poursuivre, il convient de relever qu’en droit privé, la dissolution consiste dans « la disparition d’une institution provoquée par l’arrivée d’un événement déterminé ». En droit des affaires, elle « annonce la fin de la vie d’une société (…) » (Guinchard S., Debard Th., (dirs.), Lexique des termes juridiques, 2020-2021, Paris, Dalloz, p. 378). Dans ce domaine, (pour ce qui concerne un instrument juridique) la dissolution d’un contrat « est une opération qui a pour effet d’y mettre fin et de libérer les parties de leurs obligations contractuelles ». (Criscenzo Paolo, la dissolution des contrats » (n.p.).
Ensuite, plus spécifiquement, la dissolution constitue – en droit constitutionnel – un mécanisme consistant dans « l’interruption du mandat d’une Assemblée parlementaire élue, avant le terme normal ». (Le Divellec A., de Villiers M., Dictionnaire de droit constitutionnel, 2018, p. 132). Mutatis mutandis, dans l’esprit du communiqué, la ‘‘dissolution’’ traduisait l’interruption de la validité de la constitution en vigueur, sans conséquences rétroactives. Ainsi, – encore une fois – le terme ‘‘dissolution’’, aussi étrange que puisse paraître son extension à la constitution pour désigner la fin de celle-ci, ne pose pas de problèmes de droit identiques à ceux que susciteraient les terme « annulation » ou « retrait ».
Car, à la différence de la dissolution, « le retrait consiste pour l’auteur d’un acte juridique à faire disparaître, par l’adoption d’un acte nouveau, tous les effets juridiques produits, dès son édiction, par un acte antérieur. {Il} s’apparente ainsi aux effets d’une annulation par le juge ». (DEBARD Th., Dictionnaire de droit constitutionnel, Paris, 2e éd., 2007, p. 5).
En considérant – ce qui semble davantage être en harmonie avec l’esprit général du Communiqué – que le leader du CNRD parlait effectivement de la « fin définitive » de la Constitution (abrogation » et non de sa suspension, on devrait relever que l’erreur de droit se déplace.
Désormais, l’erreur de droit ne consisterait pas substantiellement dans l’extension à la Constitution du terme « dissolution » pour désigner son abrogation ; cet aspect étant une question de pure forme sans incidence sur l’identité du phénomène qualifié. Par contre, l’erreur de droit serait d’ignorer le véritable problème de fond posé par le Communiqué et de qualifier de « suspension » l’ « abrogation » que le leader de la CNRD désigne par « dissolution ». Elle prend ainsi la forme d’une sous-évaluation de l’ampleur du phénomène qualifié (fin de la Constitution).
II. LES RAISONS SOUS-TENDANT LE CHOIX DE L’ABROGATION QUALIFIEE DE « DISSOLUTION »
En considérant l’hypothèse que le leader du CNRD a bien choisi le terme « dissolution » qui était davantage en harmonie avec l’esprit de sa décision, la question qui se pose est celle de savoir, pourquoi aurait-il préféré la ‘‘dissolution’’ (abrogation) de l’ordre Constitutionnel à sa suspension ?
Plusieurs pistes de réponse peuvent être relevées. Ce choix de l’abrogation est davantage en harmonie avec l’esprit du Communiqué consistant dans la rupture effective et radicale de l’ordre constitutionnel pour trois raisons politiques et constitutionnelles, au moins :
La première tient au caractère illégitime de la Constitution du 7 avril 2020. Cette illégitimité repose d’abord sur le caractère non consensuel du projet de changement constitutionnel. Elle procède, ensuite, des motifs réels du changement de la Constitution. Il s’agissait, pour l’essentiel, de rendre possible la candidature du président en exercice –l’époque – à sa réélection pour un troisième mandat là où les prescriptions de la Constitution jusque-là en vigueur limitaient strictement le nombre de mandats à deux.
La deuxième raison tient à la cohérence générale sur l’objectif de rupture intégrale avec le régime dirigé par le Président déchu. Ainsi, on peut supposer que, dans l’esprit de la décision de rupture, alors que le Président a été renversé – ce qui a pour conséquence qu’il quitte définitivement le pouvoir – comment comprendre que la Constitution dont l’adoption n’a été déterminée que par sa réélection ne soit que suspendue ? Ainsi la solution de la cohérence voudrait que le président ayant été déchu, sa constitution l’accompagne immédiatement. Devrions-nos peut-être qualifier cela de choix de la cohérence radicale.
En fin, on pourrait considérer que le choix est stratégique. Car, le caractère réversible de la suspension de la constitution ne se concilie pas avec l’intention de rupture constitutionnelle et politique radicale. Surtout, elle anticipe l’occurrence de pressions internationales destinées à exiger la restauration de la Constitution. Hypothèse difficile à envisager lorsqu’il s’agit d’abrogation ‘‘dissolution’’. Dans ces conditions, le retour à l’ordre constitutionnel ne consiste pas dans le rétablissement de l’ordre ancien. Mais dans l’établissement d’un ordre nouveau ; un ordre politique et constitutionnel.
En définitive, si le leader du CNRD avait choisi de suspendre la Constitution, cela aurait pu être déterminé au regard de la structure générale de son communiqué. L’avantage du choix de la suspension tiendrait à ses implications juridiques moins importantes. Pour autant, rien n’empêchait au leader du CNRD de choisir l’abrogation qu’il a qualifié de ‘‘dissolution’’. Car, ce terme n’a aucune conséquence juridique substantiellement différente de celle qui s’attache au terme convenable.
Au surplus, on ne peut pas dire que « le leader du CNRD n’a pas le droit de ‘‘dissoudre ou d’abroger’’ la constitution ». Cela donne l’impression qu’il a, au nom de l’existence de précédents, le droit de suspendre la Constitution. En vérité, si en période ordinaire il n’a ni l’un ni l’autre, en temps d’exception, il se donne l’un et l’autre efficacement. Il en assume simplement les implications en préparant des services veillant à régler tel ou tel problème impliqué.
NB. Je reviendrai sur l’appréciation de la légalité des actes de suspension ou d’interruption de l’ordre constitutionnel (en période d’exception).
Jean Paul KOTEMBEDOUNO
Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Ecole de droit de la Sorbonne
Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne