Témoignages. Les jeunes Guinéens ont été arrêtés avant les élections et enfermés arbitrairement à 600 kilomètres de la capitale. Ils ont témoigné pour réprimer sans discrimination.
« C’était un mardi soir de février, à la veille d’une manifestation du FNDC (Front national de défense de la Constitution, mouvement citoyen opposé à un 3e mandat du président Alpha Condé, NDLR). Il était 22 heures, je venais de rentrer du travail. Il n’y avait pas de courant dans notre quartier. J’étais allé prendre l’air chez un ami boutiquier qui avait l’électricité et un ventilateur. C’est là que j’ai vu une patrouille de gendarmes et de policiers de la BAC et des compagnies mobiles d’intervention et de sécurité. Il y avait au moins 10 pick-up. Ils ont commencé à entrer dans les quartiers et à embarquer des jeunes le long de la route. C’est comme ça qu’ils m’ont pris. Ils n’ont même pas demandé ma pièce d’identité. » M. Barry, jeune actif diplômé de l’enseignement supérieur, commence ainsi le récit de l’enlèvement dont il a été victime. Un témoignage ponctué de longs silences, au verbe précis, à l’émotion contenue.
Qu’a-t-il fait, que lui reproche-t-on ? Durant quarante-six jours, il n’en saura rien. « C’est un ordre qui vient d’en haut », lâche tout au plus un agent du poste de police où on l’emprisonne le premier soir. Lequel l’intime de « (se) calmer et de patienter », puis lui assure qu’il sera rapidement libéré. Le lendemain, on lui rend ses habits. Mais le soulagement est de courte durée. Avec la trentaine de jeunes raflés eux aussi ce 11 février dans le quartier de Koloma, en banlieue nord de Conakry, il est transféré vers un autre commissariat de la commune de Ratoma, « couché dans un camion pour tromper la vigilance des parents stationnés à l’extérieur ». Le jeudi, vers 18 heures, la cour du bâtiment est investie par des bérets rouges et des véhicules du BSCA (bataillon spécial du commandement en attente). En début de soirée, un convoi formé d’un camion et de deux pick-up quitte la capitale guinéenne.
Des quartiers semblent particulièrement visés
Dans cette période de tensions politiques où un double scrutin (référendaire et législatif) controversé vient d’être reporté, 36 personnes arrêtées arbitrairement sont ainsi déplacées en toute discrétion vers une destination inconnue, la peur au ventre. Leur principal tort : s’être trouvées au mauvais moment au mauvais endroit. Koloma, comme Bambeto, Cosah ou Hamdallaye sont des quartiers de la capitale réputés contestataires et majoritairement peuplés de Peuls, communauté dont est issu le chef de file de l’opposition Cellou Dalein Diallo. On appelle parfois ces territoires « l’axe du mal ». « Le terme est attribué au commandant Moussa Keïta, ex-secrétaire général du CNDD (régime militaire censé assurer la transition politique après la mort du général Lansana Conté en 2008, NDLR) », précise le président de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), Abdul Gadiry Diallo.